Publiée au Journal Officiel le 11 mars 2023, la Loi APER relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables intègre l’accélération du déploiement du photovoltaïque en France afin de multiplier par 10 la capacité de production d’énergie solaire pour dépasser les 100 GW installés d’ici 2050 y compris en produisant de l’électricité sur des terres agricoles.
L’article 54 de la Loi précise qu’une installation agrivoltaïque est une «installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ».
Bien que l’agrivoltaïsme permette une production élevée d’énergie, elle soulève de nombreuses interrogations que nous soumettons à votre réflexion.
Alors que rien n’empêcherait d’atteindre l’objectif de 100 GW par le photovoltaïque en 2050 en n’utilisant que les toitures individuelles, les locaux professionnels, les parkings et autres surfaces artificialisées, les grandes entreprises énergétiques affirment que malgré l’importance des investissements de départ et adaptés aux productions agricoles, l’agrivoltaïsme reste deux fois moins onéreuse. Or, comme la commission de régulation de l’énergie répond aux appels d’offre les moins coûteux c’est-à-dire où le coût de l’électricité produite est le plus bas possible, cela conduit mécaniquement à privilégier les projets les plus rentables et sur des plus grandes surfaces… d’où l’attrait du déploiement de la production d’électricité sur des terres agricoles.
Le schéma classique de ce type de montage de projet réside dans un investissement supporté par une entreprise énergétique sur une parcelle agricole en contrepartie d’un loyer annuel au propriétaire du sol et / ou parfois à l’exploitant agricole. Les loyers versés à l’exploitant viennent accroître son chiffre d’affaires à l’hectare dans la mesure où il conserve une production agricole sous les panneaux. Cette rémunération ne risque-t-elle pas à terme une attractivité incitant à la spéculation et engendrant une croissance importante de la valeur du foncier agricole ?
Afin de produire 60 à 80 GW d’électricité agrivoltaïque en plus d’ici 2050, il faudrait mobiliser entre 75 000 à 100 000 ha de terres agricoles. Plutôt que d’envisager des projets de grandes tailles, certes plus rentables pour absorber les coûts liés au raccordement au réseau, ne faudrait-il pas en faire profiter plus d’agriculteurs sur l’ensemble du territoire national avec des projets de petites tailles (inférieurs à 1 Ha) ?
Concernant les enjeux de biodiversité et de bien-être animal, rien à ce jour ne tend à prouver avec certitude (par manque de recul et d’études d’impact sur ces sujets) que l’agrivoltaïsme a un impact positif ou négatif. Nous pensons que la mise en place de panneaux photovoltaïques sur des terres agricoles peut modifier les propriétés du sol à l’échelle de la parcelle et par conséquent de sa biodiversité. Pour autant, la mise en place de cultures et / ou d’un élevage adapté ne pourrait-elle pas potentiellement apporter un nouvel équilibre écologique à la parcelle ?
Aujourd’hui, des terres agricoles sont consacrées à la production de biocarburants qui sont consommateurs de fertilisants chimiques de synthèse et producteurs de gaz à effets de serre (GES). Or, la production agrivoltaïque produit 10 fois plus d’énergie par hectare que les cultures bioénergétiques. La mise en place de l’agrivoltaïsme ne serait-elle donc pas un levier positif pour limiter les productions de GES en agriculture et répondre partiellement aux enjeux climatiques ?
L’agrivoltaïsme est un sujet complexe et clivant où chacun (agriculteurs, consommateurs, citoyens) a un positionnement personnel parfois contradictoire. Il ne doit pas nous éloigner ou venir en concurrence de nos missions principales : notre contribution première en tant que paysans est de nourrir la population. A côté de cette mission principale, l’agriculture assume également d’autres fonctions pour répondre aux besoins d’une société en mutation : préservation et gestion des ressources naturelles, de la biodiversité et des sols ; développement socio-économique du territoire ; préservation et gestion du territoire et des paysages ; la production de plantes, de matières premières et de matériaux à des fins non alimentaires…
Ne l’oublions pas !